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Marion Poitevin: Secouriste en haute-montagne

Marion Poitevin a 34 ans, elle est guide de haute-montagne, moniteur de ski et d'escalade. Marion est la première et seule femme à avoir intégré le groupe militaire d'élite GMHM et elle est maintenant policière secouriste CRS Montagne. Marion a gentiment accepté de répondre aux questions de Plus Tard Je Serai pour que les filles et les garçons aient envie de faire son métier plus tard.

Marion, peux-tu nous décrire ton métier de secouriste en haute montagne ?

Je suis policière secouriste CRS Montagne à Albertville. Mon rôle consiste à porter secours aux personnes en haute montagne en sécurisant la zone dans laquelle ils se trouvent ou en les ramenant dans un endroit sûr pour que le médecin puisse les examiner.

Mon emploi du temps est planifié sur deux semaines : une semaine d'entraînement et une semaine en "1ère alerte". Pendant la phase d'entraînement, je fais du sport : de l'escalade en falaise, de la randonnée dans la vallée, de la randonnée en montagne. Pendant la semaine en phase "1ère alerte", je suis pendant 4 jours et 4 nuits à côté de l'hélico, prête à partir pour le secours en montagne. Lorsque je pars en intervention, je partage l'hélicoptère avec un autre secouriste, le médecin, le pilote et le mécanicien. Puis le reste de cette semaine en alerte, je suis en entraînement.

Comment es-tu devenue policière secouriste CRS Montagne ?

J'ai été monitrice d'escalade à 20 ans et en parallèle de cette activité, j'ai fait partie de la première équipe française féminine d'alpinisme à partir de 2006.

Cela a été une vraie chance de faire partie de cette équipe car des opportunités exceptionnelles se sont présentées grâce à cela. Notamment, en 2008, le commandant du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM - c'est un groupe de l'armée française dont l'objectif est de gravir les plus hauts sommets de la planète) a choisi de donner l'opportunité à une femme membre de l'équipe française d'alpinisme de rejoindre le GMHM car il trouvait que cette équipe avait un très haut niveau. C'est comme cela que je suis devenue la première femme à rentrer au GMHM.

Grâce à ce groupe, j'ai pu participer à des expéditions en montagne incroyables et j'ai pu acquérir une grande technicité ! Par exemple, j'ai gravi un sommet de 7150 mètres en Himalaya, mené une expédition en autonomie en Arctique pendant 25 jours avec des copines, j’ai gravi une paroi de 600 mètres pendant 5 jours dans le Yosemite aux Etats-Unis avec une amie grimpeuse paraplégique. Grâce au GMHM j’ai également pu m’entrainer pour devenir la 17ème femme guide de haute montagne, nous sommes 2% de femmes dans la profession.

Après mon expérience au GMHM, je suis devenue la première femme instructrice à l'Ecole Militaire de Haute Montagne (EMHM) depuis sa création en 1930. Seule une autre femme m'a succédée en 2012. Mon expérience à l'EMHM a été mitigée et je ne m'y sentais pas d'y rester toute ma carrière.

Au bout de 3 ans et demi à l'EMHM, j'ai vu une petite annonce d'emploi de la police qui recherchait des candidats pour faire du secours en haute-montagne. A cette époque, j'avais mon diplôme de guide en haute-montagne et j'étais monitrice d'escalade et j'avais aussi commencé le diplôme de ski alpin. J'ai passé le concours d’entrée et j'ai commencé comme gardien de la paix. J'ai ensuite fait un an d'école de police et grâce à mon diplôme de guide de haute montagne j'ai pu directement passer secouriste en haute-montagne. C'était en 2016 et j'ai de nouveau été la première femme depuis la création de la spécialité dans les années 50. J'ai été très bien accueillie même si certains collègues ont été surpris de voir arriver une femme. Ils savaient que j'avais les diplômes et le niveau requis pour le poste, leur surprise a plus été de la curiosité avec des questions du type : "Comment vas-tu faire pour t'occuper de tes enfants ? ".

A l'époque la question ne se posait pas mais je suis maintenant maman et il n'y a aucune difficulté pour concilier ma vie professionnelle avec ma vie de famille. Je suis très bien intégrée et tout se passe bien avec les membres de l'équipe.

Que dirais-tu à une petite fille qui veut avoir un métier dans l'escalade et/ou le milieu de la montagne ?

Il ne faut pas se laisser impressionner. Oui, certains métiers ont l'air durs, mais ils en ont seulement l'air. Pour être secouriste en haute montagne, il y a un test physique, il faut savoir marcher en montagne avec un gros sac mais avec un entraînement régulier cela est faisable. Il faut aussi avoir le baccalauréat et faire l'école de police. Il n'y a aucun obstacle à ne pas tenter le concours ! 

Il y a peu de candidats alors que le métier de secouriste en montagne a vraiment besoin de nouvelles recrues et en plus c'est un super boulot. De l'extérieur, ce métier peut impressionner car un secouriste en montagne fait soit partie de la police, soit de la gendarmerie et il évolue en haute-montagne, mais il faut bien avoir conscience que ce métier s'apprend ! Ce que je sais faire, on me l'a appris, cela n'est pas venu tout seul. Il n'est pas question de demander au candidat ou à la nouvelle recrue d'être fort ou de tout savoir faire dès le départ. Tout s'apprendra au fur et à mesure.

Pour le diplôme de guide de haute montagne, le métier est aussi accessible mais cela est tout de même un peu plus exigeant que pour être secouriste car il faut être très bon skieur, très bon en escalade et il faut avoir fait 39 ascensions / courses dans les 3 dernières années (chaque course doit avoir une certaine difficulté, exemple des courses nécessaires pour postuler en 2020 à la fin du fichier). Pour devenir guide de haute-montagne, beaucoup de candidats sont d'abord secouriste en montagne comme moi. Cela leur permet de s'aguerrir et de progresser en sport, escalade, etc. Une fois qu'ils se sentent prêts, ils passent le diplôme de guide de haute-montagne car le métier de secouriste à la police leur aura tout appris.

Je dirai aussi aux petites filles qui veulent faire ce métier ce que m'a dit ma mère à mes 18 ans quand je lui ai dit que je voulais travailler dans le monde du sport. Ma mère m'a dit : "le monde du sport est très dur et très masculin, passe des diplômes, passe des diplômes". Je lui ai répondu à l'époque "non mais maman, le sexisme c'est fini, c'est bon on a le droit de vote". Heureusement que je l'ai écoutée et aussi que l'on m'a poussée à passer des diplômes et des examens, même si j'en ai raté certains, parce que ma mère avait raison : c'est grâce à mes diplômes que j'ai pu arriver là où je suis aujourd'hui.

Il ne faut pas non plus que les filles aient peur du physique parce que pour moi la différence physiologique entre un homme est une femme en montagne est minuscule. En revanche, la différence culturelle et de perception des rôles est énorme ! Il ne faut pas se laisser impressionner, les filles sont autant capables que les garçons !

Qu'est ce qui t'a donné envie de faire ce métier de secouriste en haute montagne ?

Je veux être en montagne ! Mon travail consiste à être payée pour être en montagne à secourir les gens et faire du sport. C'est le rêve pour moi ! En plus, avec ce métier je n'ai pas besoin de faire le choix entre une carrière épanouissante et une vie de famille.

Justement, la vie de famille est-elle compliquée avec ton emploi du temps ?

Pas du tout, avoir des enfants est totalement compatible ! Je fais mes entraînements sportifs sur mon temps de travail puisque cela fait partie de mon métier, je suis donc hyper disponible le week-end pour ma famille. La plupart des carrières ne sont pas faites pour l'instant pour intégrer une grossesse et je m'estime très chanceuse avec mon métier.

La grossesse est un frein mental incroyable pour planifier une carrière. Heureusement que lorsque j'avais 20 ans je pensais ne jamais vouloir d'enfants car du coup cela ne m'a pas freiné dans mes choix professionnels. Quand l'envie de maternité s'est finalement fait sentir, j'ai fait un enfant sans problème mais je m'aperçois que cela doit être intégré dans les carrières.

Il faut recruter les femmes jeunes, quitte à ce qu'elles soient moins fortes en alpinisme au début, comme cela lorsqu'elles ont un désir de maternité, leur carrière est déjà bien dessinée et le choix de fonder une famille ne les freine pas dans leur évolution. Il n'y a jamais de moment idéal pour faire un enfant et c'est pour cela que les femmes ne doivent pas se limiter ou caler leur carrière en fonction de cela. Le bon moment sera quand elles l’auront choisi et pas quand on leur dira "vas-y, là tu as une fenêtre de tir".

Pourquoi si peu de femmes sont secouristes en haute montagne ? 

Parce que, comme beaucoup de monde, elles pensent qu'il s'agit d'un métier d'hommes. C'est aussi ce que je pensais au début ! Par exemple pour le diplôme de monitrice d'escalade, c'est mon père qui m'a suggéré de tenter l'examen parce que moi je n'y avais pas du tout pensé. Quand je voyais les moniteurs que je connaissais, il n'y avait pas de femmes et ils étaient tous très musclés, très forts et je ne pouvais pas m'identifier à eux. Heureusement que mon père m'a encouragée à passer le diplôme, pour lui c'était naturel que je puisse y arriver.

J'ai un autre exemple en tête : un homme m'a dit une fois "on n'interdit pas aux femmes d'être guide de haute-montagne, si elles veulent le faire elles n'ont qu'à le faire". Il n'a pas complètement tort. Seulement, cet homme ne se rend pas compte de toutes les barrières mentales qui sont imposées aux femmes depuis leur naissance. Lorsque j'ai passé le diplôme de guide de haute-montagne j'avais 23 ans et à l'époque il n'y avait que 15 femmes guides en France, autant dire que je n'avais personne à qui je pouvais m'identifier ou aucune connaissance féminine à laquelle me raccrocher pour me dire "d'autres l'ont fait, tu peux le faire". J'avais toutes les qualités requises et j'avais fait toutes les courses / ascensions nécessaires pour me présenter au diplôme mais j'avais la même barrière mentale que pour devenir monitrice d'escalade. Je me disais : "il y a des mecs hyper costauds et certains ne réussissent pas l'examen". Je me disais que je n'avais aucune chance parce que depuis que je suis toute petite - comme la très grande majorité des enfants - je n'ai pas cessé d'entendre que les garçons sont plus forts que les filles. Finalement, des personnes qui me soutenaient ont dû finir par dire que puisque j'avais à mon actif le nombre d'ascensions requis, je devais tenter de passer le diplôme parce que je n'avais rien à perdre. Personnellement, je pensais que je n'avais aucune chance de réussir et donc qu'il ne servait à rien de tenter le diplôme. J'ai quand même tenté... et j'ai raté. Mais ce n'était pas grave, j'avais tenté ! J'y suis retournée l'année d'après et j'ai réussi l'examen.

Je ne vois pas pourquoi le sport en montagne ne serait pas un métier de femme. Il n'y a pas de raison.

Le problème est que les femmes ne sont pas assez visibles et cela n'encourage pas les petites filles à se lancer, parce que comme moi à mes 18 ans, elles ne peuvent pas s'imaginer faire ce métier. Au GMHM par exemple, je n'étais pas mise en avant du tout et pour eux j'étais une alpiniste comme les autres. J'étais comme les autres mais j'étais toute seule dans ma tente, je ne défilais pas avec eux... l'invisibilisation des femmes prive d'autres femmes et les enfants de figures auxquelles ils peuvent s'identifier.

Les entreprises privées ne sont pas en reste concernant ce manque de représentation des femmes. Par exemple, je suis sponsorisée par un grand équipementier et j'ai été abasourdie de voir qu'il n'y avait pas de femme représentée en alpinisme quand cet équipementier a lancé son clip promotionnel 2020. Les seules femmes représentées étaient en escalade indoor. Lorsque je leur en ai parlé, ils m'ont menacée de me rompre mon contrat ! J'ai dû prendre contact avec un avocat de l'association Ethique et Sport pour leur faire entendre raison mais mon contrat n'a pas été renouvelé en 2021.

Par ailleurs, pour un autre sponsor, j'étais la seule femme représentée sur 20 athlètes alpinistes ! Aujourd'hui, ce sponsor n'en représente plus aucune car lorsque je suis tombée enceinte, cet équipementier a choisi de réduire de moitié l'équipement qu'il me fournissait habituellement. Selon lui, les femmes enceintes ne font pas d'alpinisme, ce qui est faux. Cet équipementier ne s'est jamais posé la question de réduire l'équipement fourni à un homme qui se casse la cheville et qui ne peut plus grimper. En d'autres termes, alors que je suis policière et alpiniste engagée pour la promotion des femmes en montagne, cet équipementier n'a pas hésité pas à me discriminer sur la base de ma grossesse, ce qui est un délit puni par 3 ans d'emprisonnement. Cette année-là, deux autres alpinistes hommes sont devenus parents et ils n'ont pas été inquiétés au sujet de la quantité d'équipement et de matériel fournis. Quelques mois après mon accouchement, l'équipementier m'a dit que je ne correspondais plus à la stratégie de communication de la marque et qu'ils étaient obligés de se séparer de moi. Là encore, il n'y a pas de femme représentée par cette marque en alpinisme.

Comment faire tomber les barrières mentales et faire changer les choses ?

Tout d'abord, il faut encourager les petites filles. Mes parents m'ont élevée de manière indifférenciée par rapport à mon frère. Je n'avais pas plus le droit de me plaindre ou d'avoir peur que mon frère parce que j'étais une fille. Ce n'était pas une excuse. J'ai grandi de cette façon et j'ai eu la chance d'avoir le soutien de ma famille qui m'a poussée à me dépasser et à réaliser des challenges que je pensais impossibles. Heureusement que j'ai eu ce soutien et ces encouragements car à chaque étape de mon parcours la grande majorité des personnes que je croisais ne me soutenait pas.

Je suis persuadée de l'importance des modèles et des images positives. Un jour à l'âge de 17 ans, alors que j'étais en montagne avec un groupe d'amis, l'un d'eux a eu un accident et s'est blessé au crâne. Pendant 1h30 j'ai dû gérer la situation et je n'ai pas paniqué en attendant les secours. Le Peloton de Gendarmerie de Haute-Montagne de Chamonix est ensuite venu nous récupérer. Lorsque j'ai été auditionnée sur les circonstances de l'accident, le gendarme m'a dit "pourquoi tu ne veux pas venir au secours en montagne chez nous ? ". J'avais 17 ans et je me suis dit "non mais n'importe quoi, c'est pas fait pour moi !". Cette suggestion venait d'un homme auquel je ne pouvais pas m'identifier parce que je n'arrive pas à m'identifier à des modèles masculins. J'ai vraiment eu le déclic uniquement lorsque j'ai été encadrée par une femme dans l'équipe d'alpinisme.

L'absence de modèles féminins dans l'alpinisme est un problème car les exploits féminins ne sont pas célébrés. Cela permettrait d'avoir des modèles pour les filles. Les premières ascensions de sommet par une femme ne sont quasiment jamais évoquées. Je trouve qu’il faut parler des premières réalisations féminines : les femmes parlent moins de leurs exploits parce qu'elles sont arrivées plus tard dans l'alpinisme et comme ces exploits ont déjà été réalisés par des hommes, elles considèrent qu'il n'y a pas lieu d'en parler.

Il faut aussi montrer plus d'images positives de femmes ou d'images de femmes faisant des "métiers d'hommes" comme le mien. Par exemple, la secrétaire du bureau des secouristes de Haute-Montagne où je travaille était très contente de me voir prendre mon poste en tant que femme. Pour les cartes de vœux envoyées par le Commandant à toutes les institutions, c'est elle qui a choisi le motif de la carte et elle a fait exprès de choisir une photo de moi avec mon masque et mon équipement. Sous cet équipement nous nous ressemblons tous et il n'est pas possible de distinguer si le secouriste est un homme ou une femme. Mais elle a pris soin de choisir une photo où ma tresse de cheveux dépasse de mon casque pour que l'on voie bien que le secouriste sur la carte de vœux est une femme ! Les images sont importantes.

Grâce aux réseaux sociaux je peux aussi faire ma propre promotion et faire naître des vocations. Plusieurs femmes m'ont appelée parce qu'elles me trouvent sur les réseaux sociaux. C'est un outil très chouette, il faut s'en servir.

L'éducation nationale peut aussi faire sa part pour améliorer les choses et inciter les filles à faire des "métiers d'hommes". Par exemple, je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas de mixité dans les compétitions sportives des petits ni pourquoi les barèmes sont différents. Un petit garçon de 7 ans ou une petite fille de 7 ans sont physiologiquement semblables pour faire du sport et ces différences de traitement sont donc incompréhensibles. De la même manière, les filles et les garçons sont notés de la même manière dans toutes les matières quel que soit leur âge (même si nous savons que les profs peuvent avoir des biais sexistes en mathématiques par exemple). Il n'y a qu'en sport où il est acquis qu'une fille est moins forte qu'un garçon et qu'elle doit en faire moins. Cette différence nous suit jusque dans les compétitions senior. Les minimes filles en escalade ont des voies plus faciles que les garçons : les filles sont donc moins motivées et moins poussées à se dépasser. Il faut leur donner des challenges !

Es-tu fière de savoir que tu es la première femme à briser des bastions masculins ?

Je me dis que j'ai eu beaucoup de chance ! Quand je compare mon parcours à celui de ma mère qui voulait être coach en kayak et qu'elle n'a pas pu le faire, je me dis que j'ai eu beaucoup d'opportunités !

Si je suis la première femme à être rentrée au GMHM et première femme au secours en haute-montagne, c'est simplement parce que j'ai pu bénéficier d'opportunités créées par des hommes. Puisque tout est dirigé et décidé par les hommes, ce sont bien des hommes qui m'ont offert des opportunités. Les femmes alpinistes avant moi avaient de très gros niveaux techniques mais n'ont pas eu les mêmes chances que moi. C'est pour cette raison qu'il faut en créer, au travers avec de quotas par exemple. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire : c'est seulement en 2012 qu'une femme a été nommée CRS officier et en 2014 qu'une femme a été nommée première gardien de la paix. C'est aussi grâce à ces femmes policières qui ont fait tomber des barrières administratives absurdes que je peux faire mon métier de CRS secouriste en haute montagne.

Quelles ont été les difficultés de ton propre parcours ?

J'ai dû faire face à différents niveaux de difficultés.

Je me suis rendue compte que le milieu de l'escalade est un milieu très masculin. Quand j'étais monitrice d'escalade dans les canyons et sur les falaises, j'étais toujours la seule femme et les clients avaient tendance à me faire moins confiance qu'à mon binôme masculin.

Mon expérience au Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) n'a pas non plus forcément été très bonne. C'est un groupe qui a presque 45 ans et j'ai été la première femme (et la seule pour l'instant) à l'intégrer en 2008. J'ai pu intégrer ce groupe car j'étais une femme et j'ai bénéficié d'une sorte de discrimination positive. La seule chose que j'ai entendu pendant toute la durée de mon service là-bas était que je ne méritais pas ma place, que je n'avais pas le niveau, que je n'étais là que grâce à la discrimination positive et sans autre raison... J'avais beau battre tous les autres membres (exclusivement masculins) au championnat de France d'escalade militaire, être plus forte qu'eux en ski, passer le diplôme de guide en haute-montagne, être monitrice d'escalade, monitrice de ski alpin, secouriste en montagne et ne vraiment rien avoir à leur envier au niveau technique en montagne, pour eux si j'étais là c'est uniquement parce que j'étais une femme. Cette situation était plus dure à gérer avec les jeunes hommes qu'avec les hommes plus âgés. Les hommes plus âgés n'ont plus rien à prouver et ils ont moins d'ego et ne m'en voulaient pas de les battre, tandis que les trentenaires étaient vraiment agacés de quand je les battais. A leur décharge, on leur a toujours dit qu'ils devaient être plus forts que les filles et quand ils se faisaient battre par une fille ils devaient peut-être se sentir un peu moins "homme", ce qui est ridicule ! Malgré la difficulté de cette expérience, cela m'a permis de faire de grandes expéditions, de passer mon diplôme de guide de haute-montagne et de démystifier l'armée.

A l'école militaire de haute-montagne (EMHM), je sentais que j'étais accueillie avec une vraie réserve. J'avais toute la légitimité pour être là parce que j'avais tous les diplômes requis mais malgré cela, je n'avais pas le droit de défiler avec le reste du groupe, je n'avais pas le droit de mettre mes insignes montrant que j'avais fait le GMHM, ils m'ont dit que je n'avais pas le niveau pour devenir sous-officier ou monitrice de ski alpin. J'ai tenu 3 ans et demi.

J'ai aussi vécu le plafond de verre dans l'alpinisme de haut niveau. Peu de monde a le potentiel pour faire les grandes courses et expéditions et lorsque je voulais partir pour l'une d'entre elles tout se mettait en place pour qu'à chaque fois je ne trouve personne pour m'accompagner. Le peu de personnes susceptibles de pouvoir m'accompagner avait toujours une bonne excuse : "il n'y a pas les bonnes conditions", "un ami m'a déjà appelé pour le faire avec lui"... De fait, il est plus compliqué pour une femme de faire de grosses courses en montagne alors que les hommes trouvent toujours des partenaires.

A niveau équivalent de celui d'un homme, une femme n'obtient pas la légitimité qu’obtiennent les hommes. Cela forme un cercle vicieux : elle n'a pas fait de grandes courses donc il n'est pas possible de lui faire confiance en montagne et donc personne ne veut l'accompagner. Dans ces conditions, être bonne en alpinisme de haut niveau ne suffit pas, il faut être excellente. J'étais la 3ème meilleure grimpeuse du GMHM et cela ne suffisait pas pour qu'on me demande de partir en grande course mais des hommes moins bons que moi partaient eux régulièrement.

Que souhaites-tu aux les femmes qui veulent faire ce métier ?

Nous ne sommes que 2% de femmes guides de haute-montagne (la première a été diplômée en 1983). Cela évolue tout doucement. Depuis que je suis arrivée au secours en montagne, seules 5 femmes sur 300 secouristes m'ont suivie en seulement 3 ans et elles sont en train de passer le concours de police.

Il faut briser la barrière mentale des femmes mais aussi mettre en place des dispositifs comme la discrimination positive et les quotas. Cela est violent comme manière de faire mais c'est pour l'instant la seule solution. Il faut expliquer la raison profonde de ces quotas aux membres des groupes qui accueilleront ces femmes : elles ne sont pas là que grâce à la discrimination positive, elles y ont aussi leur place au même titre que les hommes !

Peux-tu nous en dire plus sur Lead The Climb ?

C'est un club que j'ai co-fondé et j'en suis présidente. Nous proposons aux femmes des stages de formation le week-end pour les former au leadership dans les métiers de la montagne et les aider à devenir tête de leur cordée. En montagne il y a 40% d'adhérentes aux fédérations mais 2% seulement deviennent guide et 10% sont encadrantes bénévoles. Les femmes sont en montagne mais elles sont secondes, elles sont très rarement tête de cordée. Cela est dû à une forme d'auto-censure enseignée aux petites filles et aux jeunes femmes (cette auto-censure n'est pas innée chez elles). Il faut que les femmes dépensent deux fois plus d'énergie pour dépasser ces barrières mentales. Au contraire il est enseigné et demandé aux garçons et aux hommes de faire preuve d'encourage, d'endurance et de leadership. Les hommes et les femmes sont formatés pour croire qu’il est plus difficile de faire confiance à une femme pour partir pour une grande course car elles sont réputées moins endurantes et plus peureuses. Inconsciemment, dans une telle situation, les hommes auront plus confiance avec un homme. Lead The Climb a vocation à changer cela et à donner confiance aux femmes dans leurs capacités en montagne.

 

Au fait...

Saviez-vous que dès l'âge de 6 ans, la plupart des filles pensent être moins intelligentes que les garçons?

C'est le résultat d'une enquête menée par des chercheurs en 2017.

Les petites filles manquent bien souvent de confiance en elles: découvrez comment révéler le potentiel de votre enfant.

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