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Podcast avec Lucie Branco: Plus Tard Je Serai Tailleuse de pierre Compagnon du Devoir

Découvrez comment Lucie Branco est devenue la première femme Compagnon du Devoir. Cette tailleuse de pierre n'a jamais cessé de persévérer pour que les femmes puissent faire partie de la famille du compagnonnage. Lucie vous explique comment poursuivre vos rêves, même s'ils paraissent farfelus.

Résumé du podcast

00:00:00 Introduction

00:00:14 Tailleure ou tailleuse de pierre ? Lucie Branco, auteure de "On ne bâtit pas des cathédrales avec des idées reçues" aux éditions Kéro, explique qu'elle a toujours tenu à féminiser son nom de métier. Avant que la Commission de féminisation des métiers des Compagnons du Devoir ne se saisisse du sujet, Lucie demandait à être appelée "tailleure de pierre" car "tailleuse de pierre" faisait naître des commentaires graveleux de la part de ses collègues. Toutefois, c'est désormais le terme de "tailleuse" qu'il faut retenir, en espérant que ce terme ne suscite pas autant de commentaires grivois et dépassés.

00:01:48 Les femmes ont bâti les cathédrales du moyen-âge. Il y avait des femmes bâtisseuses au Moyen-âge ! Ce sont aussi des femmes qui ont bâti les cathédrales. Edith Vallé qui a écrit le livre « le matrimoine de Paris » indique qu’il existe de nombreuses preuves du travail féminin sur les chantiers au Moyen-âge. A l'origine, les confréries de métiers étaient des confréries religieuses tout à fait mixtes. Petit à petit, ces confréries se sont muées en confréries de métiers pures et l'organisation mixte a cédé sa place à une organisation genrée. Au 14e siècle, les maîtres compagnons qui encadraient les femmes les ont peu à peu exclues, à mesure que le travail se raréfiait. Au Moyen Âge, les femmes et les hommes étaient beaucoup plus égaux dans le travail que maintenant.

00:03:12 La découverte des Compagnons du Devoir. A 15 ans ou 16 ans Lucie avait un ami qui était Compagnon et qui faisait le Tour de France. A l'époque elle écoutait avec plaisir ses aventures mais elle ne se sentait pas attirée par ce milieu. La vraie rencontre, qu'elle appelle la "croisée des chemins" a lieu quelques années plus tard en 1995 tout à fait par hasard. A quelques semaines du baccalauréat, elle rencontre dans un bar quatre Compagnons qui transpiraient le bonheur et l’épanouissement. Elle discute avec eux et elle est fascinée par leur énergie. Il y avait un tailleur de pierre, un chaudronnier, un serrurier et un charpentier. Avant d'être attirée par le métier de la taille de pierre, elle est surtout subjuguée par leur état d'esprit, par la manière dont ils parlent de leur métier. Elle les revoit quelques temps plus tard, toujours par hasard et ils l’invitent alors à prendre l’apéritif à la maison des Compagnons de Villeneuve d’Ascq. A peine le pied dans le lieu, elle sent qu’elle y appartient. C’est une évidence pour elle. Elle est initiée peu à peu à la taille de pierre les samedis et c'est à ce moment qu'elle se rend compte qu'elle est amoureuse de ce métier.

00:05:53 Se battre pour suivre un apprentissage chez les Compagnons. Après son bac obtenu au rattrapage dans une filière qui ne lui plaît pas, Lucie Branco s'oriente vers un apprentissage dans la taille de pierre en espérant pouvoir suivre les cours du soir dont bénéficient les élèves qui suivent le même cursus qu'elle mais qui sont Compagnons du Devoir. Lucie explique que lorsqu'on souhaite devenir Compagnon, il faut suivre une semaine d'essai, qui est appelée le pré-stage. Les garçons n’ont jamais rencontré aucune difficulté pour intégrer le pré-stage. Mais Lucie est une femme et elle a dû batailler pendant deux ans pour avoir le droit de suivre cette semaine d'essai. Lorsque cela lui a finalement été accordé, elle est prévenue qu'à l'issue du pré-stage elle pourra faire un apprentissage chez les Compagnons du Devoir mais en tant qu'externe, il n'est pas question qu'elle loge dans la maison des Compagnons comme les garçons (elle devra trouver et payer son propre logement). Il lui est aussi indiqué qu'à l'issue de son apprentissage, elle ne pourra pas faire son Tour de France parce qu'elle est une femme.

00:07:39 Le Tour de France en renard. A la fin de son apprentissage, Lucie Branco est interdite de faire son Tour de France comme les garçons. Qu'à cela ne tienne, elle le fera sans les Compagnons, "en renard" comme ils disent. Elle va parcourir la France et changer de ville tous les ans ou tous les deux ans en espérant à chaque fois pouvoir suivre les cours du soir dans la maison des Compagnons locale et négocier des contrats de qualification. Quand on est Compagnon, il n'est pas nécessaire de s'acharner pour trouver une entreprise en apprentissage, des places sont trouvées par l'association des Compagnons. En revanche, Lucie Branco a dû batailler seule sans l'aide de personne pour trouver ses emplois. Pour le premier à Paris, elle dû toquer à 250 portes avant de trouver une entreprise! Lucie explique que chaque jour après sa journée de travail, un Compagnon qui fait le Tour de France rentre à la maison des Compagnons où il loge, pour suivre des cours de 20h à 22h donnés par d'autres Compagnons professionnels. Et le samedi les Compagnons sont en atelier pour se perfectionner. Le prévôt de la maison locale des Compagnons avait accepté de signer avec Lucie Branco un contrat de qualification pour qu'elle suive les cours du soir des Compagnons. Cependant, les Compagnons tailleurs de pierre s'y opposent et rompent le contrat son qualification parce qu'elle est une femme. Cela ne lui a pas été dit si directement mais c'est la seule raison pour laquelle son contrat de qualification a été rompu. La corporation des tailleurs de pierre était l'une des plus hostiles des Compagnons quant à l'entrée des femmes.

00:13:16 L'acceptation des femmes à marche forcée. Après son contrat à Paris, Lucie Branco va à l’institut de la Pierre à Rodez pour démarrer un brevet technique des métiers supérieur (BTMS) et ensuite elle va en Haute-Loire. A cette époque de plus en plus de femmes toquent chez les Compagnons et la structure entame des discussions sur l’ouverture du compagnonnage aux femmes (aussi pour éviter d'éventuels procès en discrimination). Ces discussions sont également apparues lorsque certains métiers ont dû se "résigner" à s'ouvrir aux femmes faute de candidats masculins suffisants. Cela était notamment vrai pour la maroquinerie ou la tapisserie. A un moment des discussions, il est question de créer un compagnonnage parallèle : un pour les hommes et un autre pour les femmes. Lors des Assises des Compagnons en 2004, la mixité est votée à la surprise générale, poussée par l'éventualité d'un compagnonnage parallèle qui ne sera en fait jamais mis en place.

00:18:00 L'adoption par les Compagnons du Devoir et la reprise des hostilités. Pendant l’été 2004 Lucie Branco apprend qu'elle va être adoptée par les Compagnons du Devoir comme deux autres femmes, et qu'elle doit rédiger un travail de mémoire. A l’issue de cette cérémonie d’adoption, elle devient aspirante. Seulement c’est juste une étape avant de devenir Compagnon. Après cette cérémonie d’adoption, Lucie doit réaliser un « chef d’œuvre » et être reçue. Alors qu'elle n'a pas eu la chance de recevoir la même formation que les autres Compagnons, Lucie Branco décide tout de même de réaliser son Chef d'œuvre. C'est un travail de plusieurs années pour lequel Lucie a eu un peu de mal car elle avait des doutes sur sa légitimité. Elle s'emploie tout de même à réaliser une maquette pédagogique d'un limon d'escalier circulaire. Pendant qu'elle s'emploie à la tâche, la cayenne des tailleurs de pierre de Lyon fait valoir que le travail de Lucie ne peut pas être reçu en s'appuyant sur des arguties réglementaires. Heureusement, d'autres Compagnons ne l'entendent pas de cette oreille et font en sorte que le chef d'œuvre de Lucie soit reçu. Cette dernière bataille l’a vraiment ébranlée.

00:23:16 Les silences complices du sexisme. Lucie Branco explique dans son livre "On ne bâtit pas de cathédrales avec des idées reçues" que beaucoup de jeunes garçons et d'hommes comprenaient son combat pour la mixité et la soutenaient, mais qu'ils le faisaient en silence, sans prendre parti publiquement. Lucie indique qu'elle a tout de même été très soutenue par des Compagnons et que cela l'a énormément motivée.

00:24:31 La réception en tant que Compagnon. Lucie Branco est finalement reçue en tant que Compagnon après ses années de lutte et elle pleure tout au long de la cérémonie. Lucie explique que cette réception est l'aboutissement d'un long combat, la reconnaissance de son travail. Elle est enfin acceptée, elle est leur sœur.

00:25:31 La prise de recul et le retour chez les Compagnons. Après cette réception, Lucie a besoin de s'éloigner un peu des Compagnons, mais pas trop. Tour à tour elle suit un master professionnel « métiers du patrimoine » au cours duquel elle contribue à participer au classement des Compagnons du Devoir comme patrimoine immatériel de l’UNESCO, puis elle travaille un peu à Paris, elle enchaîne les petits boulots à l’île de Ré, elle devient ensuite formatrice en taille de pierre au CFA de Poitiers, puis retour chez les Compagnons. Lucie Branco explique qu'elle avait aussi abandonné un peu le métier car elle s'est faite très mal au dos et qu'elle avait besoin de s'éloigner physiquement du métier. Elle finit par décrocher un poste d’ « expert métier » chez les Compagnons pour repenser le programme de la taille de pierre. Elle a retravaillé toute la pédagogie et les modules de formation des tailleurs de pierre, du CAP au BTMS. Lucie a donc redimensionné la formation qui lui avait été refusée à l'époque par les Compagnons. Cela se passe tellement bien que l'association des Compagnons demande à Lucie de suivre une formation pour devenir encadrante au sein de l'association. Aujourd'hui, Lucie est responsable de la démarche du développement durable pour les Compagnons du Devoir.

00:28:22 Persévérance. Il a fallu 12 ans à Lucie Branco pour devenir la première femme Compagnon du Devoir. Cela a été un combat de presque tous les instants dans lequel elle a démontré une persévérance sans faille. A l'époque du pré-stage, Lucie venait de rater son bac et devait aller au rattrapage. Son but était de rentrer en apprentissage chez les Compagnons mais comme la voie était toujours fermée aux femmes, Lucie devait absolument décrocher son bac pour avoir un plan B. Elle a réussi à convaincre les examinateurs de son projet lors de ses épreuves orales et ils lui ont donné les points manquants. Lucie explique aussi qu'elle ne remerciera jamais assez le patron qui a accepté de l'embaucher pour la première fois après son pré-stage. Elle n'avait pas la certitude qu'elle pourrait mener à bien son projet de devenir tailleuse de pierre mais elle savait qu'elle avait trouvé sa place parmi les Compagnons. C'est un sentiment qu'elle a ressenti très fortement dans son ventre et dans son cœur. L'injustice qu'elle a subie (ne pas pouvoir intégrer les Compagnons) lui a permis de découvrir une partie de sa nature en s'élevant contre l'arbitraire. Lucie s’est rendu compte que face à l'injustice, elle se métamorphose et sa timidité laisse place à un tempérament de guerrière qui lui permet de répondre aux arguments des personnes les plus hostiles à l'entrée des femmes chez les Compagnons. Bien sûr que l'amour de la taille de pierre a poussé Lucie à persévérer mais son carburant de tous les jours reste l'injustice. Elle explique qu'avec les Compagnons elle s'est trouvé une famille et qu'elle ne pouvait accepter d'en être exclue pour de mauvaises raisons. Elle a ensuite rencontré le métier de la taille de pierre dans lequel elle s'est totalement retrouvée.

00:31:50 Vivre le rejet. Lucie a vécu en rejet terrible en ne pouvant pas rejoindre les Compagnons lorsqu'elle était jeune. Ce monde la faisait vibrer, elle sentait dans ses tripes et son cœur que c'était l'endroit, la communauté où elle voulait être, mais on lui a dit qu'on ne voulait pas d'elle. Vivre cela en tant qu'adolescente est terrible. Les hommes n'étaient pas complaisants, les femmes non plus, elle était rejetée par tous sur la base d'un argument inexistant: elle était une femme. Lucie a malgré tout pu rester motivée car des gens croyaient en elle.

00:32:57 Ces femmes qui sapent la lutte contre l'injustice. Lors d’une réunion de réflexion sur l’entrée potentielle des femmes dans le compagnonnage, Lucie Branco se rappelle qu'une femme lui a dit qu'à son avis une femme ne pouvait pas comprendre les valeurs du Compagnonnage. En plus d'être hystérique, une femme est trop bête pour devenir Compagnon. Lucie est estomaquée par la remarque de cette femme. Lors de la réception de leur chef d'œuvre, les hommes reçoivent leurs attributs qui sont une canne et une écharpe. Des femmes suggèrent à Lucie et aux autres femmes aspirantes de recevoir des attributs différents, à savoir des sacs en main plutôt que des écharpes. D'autres femmes suggèrent encore que les femmes Compagnons s'appellent entre elles « petites sœurs ». Lucie Branco attribue le comportement de ces femmes à leur éducation et au fait qu'elles ont toujours entendu dire que les femmes ne devaient pas sortir de la place qui leur a été attribuée. Elle explique que les femmes doivent se battre contre des stéréotypes très ancrés et très puissants qui ont été intégrés par beaucoup de femmes elles-mêmes au point que certaines défendent ces stéréotypes. Lucie pense aussi que la jalousie a joué un rôle pour ces femmes qui tentaient d'empêcher d'autres femmes de devenir Compagnons. Elle estime que certaines subissent le fait que leurs maris Compagnons, tellement passionnés par leur métier, ne sont pas souvent à la maison mais beaucoup plus souvent à la Maison des Compagnons où vont maintenant arriver des jeunes femmes. Elles ne voyaient pas cela d'un bon œil.

00:35:16 Les grossesses, un problème? Avant l'ouverture des Compagnons du Devoir aux femmes, certains Compagnons ont déclaré à Lucie Branco que si le Tour de France acceptait les femmes, les maisons de Compagnons devront être adossées à des maternités car ils ne voient les femmes que comme des mères. Comme s’il était impossible de conjuguer compagnonnage et vie de famille, en tout cas quand on est une femme. A toutes les jeunes filles (et aux hommes) qui pensent que faire partie des Compagnons du Devoir n'est pas compatible avec une vie de famille lorsqu'on est une femme, Lucie répond de n'écouter que soi! Tout est compatible et faisable à partir de moment où on le veut. Il y aura toujours des gens, consciemment ou non, qui vont essayer de détruire vos rêves parce qu'ils projettent leurs propres peurs. Il ne faut pas les écouter mais suivre ses rêves.

00:36:44 De quoi les hommes ont peur ? Que craignaient les hommes qui s'opposaient à l'entrée des femmes chez les Compagnons du Devoir? Selon Lucie, certains hommes ont peur des femmes car ils pensent ne pas savoir leur parler ou les comprendre. Elle pense aussi que les hommes aiment bien se retrouver entre eux. Lucie a posé mille fois la question à des hommes "de quoi tu as peur ?" pour comprendre que leur crainte est intimement liée à leur histoire personnelle, à leur relation avec leur mère, leur sœur où avec une femme qu'ils connaissent. Ils transposent leurs relations avec ses femmes en particulier à toutes les femmes en général. D'après Lucie, beaucoup de Compagnons ont aussi choisi le Compagnonnage pour s'éloigner de leur contexte familial, y compris des femmes qui partageaient leurs vies.

00:38:38 Les femmes ont-elles moins de force pour tailler les pierres? Dans son livre On ne bâtit pas de cathédrales avec des idées reçues, Lucie Branco écrit que les femmes semblent se censurer surtout au niveau de la force physique. Elles craignent de ne pas avoir la force de faire ce métier ou un métier du BTP. Elodie Goulhot qui est peintre en bâtiment, explique pour sa part dans l'épisode du podcast qui lui est consacré que « les gros bras viennent avec le temps » et que même les hommes forment leur physique en travaillant car ils n’arrivent pas déjà tous musclés. Lucie partage ce point de vue. Elle rappelle que c'est tout de même une bonne chose de douter car cela permet de se remettre en cause, mais que certaines choses viennent avec le temps. Un garçon qui arrive pour la première fois sur un chantier à 15, 16 ou 17 ans n'est pas forcément plus musclé qu'une fille. Ils vont tous les deux se muscler avec le temps et en travaillant. Si on n’a pas la même capacité physique qu'un homme, on va apprendre des techniques pour porter sans se faire mal. Par ailleurs, il existe de plus en plus de matériel de levage et d'autres outils pour faciliter la taille de la pierre sans devoir trop solliciter la force physique. Par exemple les sacs de sable et de chaux pesaient 50 kilos auparavant, mais ils pèsent désormais 25 kilos. Lucie explique aussi qu'un tailleur de pierre, homme ou femme, apprend de la même manière à travailler dehors et à subir la météo car tout s'apprend. Lucie Branco insiste sur le fait que c'est en faisant et en avançant que l'on se découvre aussi, que l'on découvre ses limites et que l'on découvre aussi qu'on n'en a pas. Elle explique que faire du sport est un plus pour ce métier mais que cela ne fait pas tout, car ce qui compte, c'est d'apprendre les bons gestes et les bonnes postures.

00:42:21 La fausse galanterie sur le chantier. Sur les chantiers, Lucie devait porter des sacs de cinquante kilos ou des pierres de plusieurs dizaines de kilos et il arrivait que certains hommes accourent pour l'aider. D'autres ont même chercher à lui trouver un métier plus adapté en lui proposant une formation au Louvre, une école de dessin technique… Lucie Branco a dû convaincre ces hommes qu'elle n'était pas une petite chose fragile. Ces hommes, sans s’en rendre compte et sous couvert de bienveillance, refusaient de la considérer comme leur égale. Elodie, qui est peintre en bâtiment a raconté la même chose : quand elle porte deux sceaux de 25 kilos chacun, des collègues veulent lui prendre un sceau des mains « pour la soulager ». Elle leur répond de s’éloigner car elle sait qu’elle peut porter ces sceaux. Quand ça lui arrivait, Lucie disait aux hommes qui souhaitaient "l'aider" de la laisser tranquille. Elle leur disait de ne pas la considérer comme une femme mais comme un ouvrier. Parfois elle devait vraiment insister pour se faire comprendre. Lucie Branco explique qu'il ne faut pas être trop gentille dans le bâtiment. C'est sur les chantiers qu'elle a appris à être ferme.

00:44:39 Faut-il adopter les codes masculins pour travailler sur un chantier? Au début, pour se faire accepter et se fondre dans la masse, Lucie Branco imitait les attitudes des hommes qui l'entouraient: elle buvait comme eux, elle s'habillait comme eux, elle faisait même certaines blagues sexistes. Avec le recul, elle ne sait pas si aujourd'hui elle aurait fait les choses différemment, mais elle pense que des femmes arrivent désormais à s'imposer sans copier les marqueurs masculins. Lucie explique qu'elle était très timide en étant jeune et que copier les attitudes des hommes était pour elle le seul moyen de s'affirmer. Elle regrette que lorsqu’une femme évolue dans un milieu d'hommes elle a vite fait de passer pour une "salope". Elle évitait donc d'être trop féminine et s'attachait à être irréprochable, et la meilleure manière de l’être à cette époque, c’était en copiant les attitudes des garçons.

00:46:55 Leadership. Anaïs Caradeux, championne de ski freestyle à qui on reprochait de ne pas faire aussi bien que les garçons, a confié dans un épisode du podcast qu’elle se battait pour que les standards des hommes ne soient plus les seuls qui existent. Elle dit que les femmes doivent se battre avec leurs propres armes, sans imiter celles des garçons. Lucie approuve complétement ce message et elle indique que maintenant, elle arrive à s'imposer selon ses propres codes et de sa propre manière. Elle explique qu'il est plus facile d'être un leader dès lors qu'on a confiance en soi. Lucie relève que la problématique du leadership quand on est une femme est bien réelle car des journalistes lui ont dit récemment qu'ils avaient du mal à trouver des femmes expertes dans certains sujets pour faire des reportages car elles craignaient de ne pas maitriser le sujet, alors que les hommes acceptaient toujours et improvisaient. La clé résiderait dans le fait de croire en soi, d'y aller et un moment tout va fonctionner. Il faut suivre le mantra de l'un des architectes que connaît Lucie: "Improvisation, adaptation, maîtrise". C'est un peu la version française du "fake it until you make it".

00:48:38 Syndrome de l'imposteur. Dans son livre On ne bâtit pas de cathédrales avec des idées reçues, on sent que Lucie Branco se bat régulièrement avec un syndrome de l'imposteur. Elle révèle le ressentir encore parfois mais beaucoup moins qu'au début de sa carrière. Lucie explique qu'elle a réussi à se séparer de son syndrome de l'imposteur grâce à plusieurs choses. Elle s'est d'abord réconciliée avec son passé, elle a consulté des psychologues, elle a eu une coach en leadership au féminin, elle a eu beaucoup de reconnaissance et le 8 mars 2021 elle a reçu la médaille de Chevalier de l'Ordre National du Mérite ce qui lui a procuré beaucoup de fierté. Ce sont tous ces éléments qui lui ont permis au fur et à mesure de se sentir légitime.

00:51:17 La soif d'apprendre. Lorsque Lucie vivait à Saint-Étienne, elle a postulé à un emploi chez un architecte. Celui-ci lui a demandé si elle sait dessiner des escalier hélicoïdaux (en forme d’hélice). Lucie lui a alors répondu : « Non, mais je peux me donner les moyens d’y arriver ». Elle est convaincue de pouvoir y arriver alors qu'elle ne l'a jamais fait. Elle a confiance en sa capacité d'apprendre car elle s'est toujours donné les moyens d'apprendre et de maîtriser un sujet. Lucie admet également qu'il est tout à fait possible de se tromper, de tenter un défi et de ne pas y arriver pour plein de raisons. Selon elle, ne pas réussir alors qu'on fournit tous les efforts dont on est capable est le signal que l'on prend le mauvais chemin et que le défi fixé n'est pas pour nous. En revanche, Lucie est convaincue que ces défis abandonnés nous mettent sur le chemin des défis qui nous sont destinés et nous font devenir meilleures.

00:54:15 Redonner aux jeunes la confiance en eux. Lucie Branco a été un temps formatrice en taille de pierre au CFA de Poitiers où elle a redonné confiance en eux aux jeunes. Elle explique dans son livre qu’à cette période, un jeune Stéphane suit sa formation. Elle croit dans le potentiel de ce jeune alors même qu’il se fait descendre par tous les autres profs. Finalement, des jeunes auxquels on ne prédisait pas un grand avenir, Lucie Branco en fait des jeunes gens épanouis et certains même des participants Worldskills en taille de pierre (c’est l’équivalent des championnats du monde des métiers) et un des stagiaires de Lucie a représenté la France dans cette discipline au Brésil. Pour elle, aucune jeune n'est une cause perdue, il y a des jeunes qui ne sont pas à leur place, mais il suffit de leur faire prendre conscience qu'ils ne sont pas sur le bon chemin.

00:57:09 Trouver son chemin grâce à une bonne orientation. En termes d'orientation scolaire et professionnelle, malheureusement on accumule les clichés et les stéréotypes de la part des conseillers d’orientation. Par exemple, dans l'épisode avec Caroline Boujard qui est rugbywoman au XV de France, elle explique qu’elle était une cancre à l’école pour finalement découvrir il y a peu de temps qu’elle est Haut Potentiel Intellectuel. A la fin de la 3ème on l’a orientée vers un CAP fleuriste… C’est la même chose pour Elodie : elle est envoyée en CAP vente en boulangerie alors que maintenant elle s’épanouit en tant que peintre en bâtiment à faire des ravalements de façades. Lucie évoque aussi son amie Estelle qui, après un DEUG de lettres se met à la taille de la pierre. Elle regrette que les conseillers en formation ne soient pas plus perspicaces et elle déplore surtout que personne ne lui a jamais parlé des métiers manuels. Lucie Branco espère que, désormais, on ne propose pas exclusivement aux jeunes femmes une orientation vers les métiers dits féminins.

01:01:09 Le rôle des jouets et de la compétition. Lucie Branco se souvient que, malgré une mère féministe, ses jouets étaient des Barbies et son frère avait des Lego Technic qui lui apprenaient à construire et à visualiser des objets en trois dimensions. Cela cumulé avec l'effet des livres pour enfants et des clichés constamment entendus sur les capacités des filles et des garçons créé un conditionnement des enfants sur leur place et le rôle qui est attendu d'eux par la société. Lucie regrette également que la plupart des jeux entraîne à la compétition plutôt qu'à la collaboration car cela apprend aux enfants à se mesurer les uns aux autres plutôt qu'à s'entraider. Elle estime que c'est en pouvant compter les uns sur les autres, hommes, femmes, filles et garçons confondus que nous avançons tous et de la bonne manière.

01:04:30 Que faire en cas de mauvaise orientation? Lucie Branco explique qu'il ne faut pas boire les paroles du ou de la conseill-ère d'orientation sans se renseigner de son côté. Il faut également tester toutes sortes de métier, faire des stages, des ateliers, contacter des professionnels pour savoir si on peut les observer travailler... Aussi farfelu qu'un métier puisse paraître, c'est peut-être le bon. Lucie explique qu'absolument rien ne la destinait à la taille de la pierre et qu'elle-même a un peu été surprise de voir qu'elle y arrivait.

01:06:11 La contradiction entre les valeurs et les actes de Compagnons du Devoir. Dans son livre, Lucie Branco explique que les Compagnons du Devoir portent haut les valeurs de dignité et de respect de l’autre. Pendant ses premiers temps à l’atelier de Lille, elle baigne totalement dans les valeurs humanistes des Compagnons et elle a de plus en plus de mal à accepter la discrimination fondée sur le sexe. Lucie s'est beaucoup interrogée sur les raisons pour lesquelles les Compagnons du Devoir qu'elle fréquentait ne voyaient pas la dissonance entre leur discours humaniste et le refus d’intégrer les femmes. Aujourd'hui, Lucie estime que cette contradiction entre les valeurs et les actes de Compagnons du Devoir est liée à l'histoire personnelle de chaque Compagnon avec un mélange d'absence de recul et de peur du changement. Pour eux, ne pas intégrer les femmes n'était pas contraire à leurs valeurs humanistes, comme si les femmes n'étaient pas des êtres humains. Lucie Branco a eu d’innombrables discussions, explications et débats sur les chantiers ou en dehors avec des hommes ouvriers pour leur expliquer son point de vue sur la place des femmes. A la suite de ces discussions, certains hommes ont changé d'avis car ils se sont aperçus que leurs peurs étaient liées à leur éducation et qu'ils projetaient sur TOUTES les femmes leurs problèmes avec une femme en particulier (une mère, une sœur, une épouse...). Lucie a aussi fait changer d'avis certains hommes tout simplement en faisant ses preuves sur les chantiers et en leur montrant qu'elle effectuait son travail aussi bien, voire mieux qu'eux.

01:09:17 Aujourd'hui, quelle place des femmes chez les Compagnons. Après l’ouverture du cursus aux femmes, Lucie a habité un temps à la maison des Compagnons de la Rochelle où elle a constaté que son combat n’a pas été vain car des filles y sont en apprentissage. Toutefois, elle relève aussi que les blagues sexistes perdurent et qu’il est important que chaque sexe communique sur ses ressentis et ce qui le blesse (elle évoque dans son livre les garçons qui sont torse nu dans l’atelier, des strings qui sèchent au milieu des t-shirts après la lessive). Lucie a décidé donc d'organiser une causerie dans cette Maison des Compagnons. Une causerie est un moment d'échange organisé un jeudi par mois où une personne, Compagnon ou non (en l'occurrence Lucie), raconte son histoire pour susciter les discussions sur un certain sujet, ici, le sexisme. Lucie a multiplié ces causeries sur le sexisme dans plusieurs maisons de Compagnons et elle recevait à chaque fois un accueil très positif. Les jeunes, filles et garçons, ont dit à Lucie que grâce à elle ils comprenaient mieux les points de vue de chacun. Ce sont d'ailleurs des jeunes à l'issue d'une causerie qui l'ont poussée à écrire son livre « On ne bâtit pas de cathédrales avec des idées reçues » car ils disaient manquer de modèles et que l'exemple de Lucie devait être connu de tous.

01:11:32 L'évolution du nombre de femmes chez les Compagnons. Enormément de jeunes filles remercient Lucie pour son combat et la portent en très haute estime. Elle est très admirative de la combativité de ces jeunes filles. En 2022, les filles représentent 16% des effectifs des Compagnons du Devoir avec une répartition très inégalitaire car elles sont majoritaires dans les métiers de la maroquinerie et de la tapisserie mais largement minoritaires dans les formations du bâtiment et de l'industrie.

01:13:22 Le cas du harcèlement sexuel. Dans son livre, Lucie Branco explique que lors de son apprentissage elle a souffert de ce qui est qualifié aujourd’hui de harcèlement sexuel de la part de son patron. Il la poussait sur les fesses pour l'aider à monter sur l’échelle, des commentaires graveleux… A l’époque on disait que c’étaient des blagues potaches, des oublis, mais maintenant ces comportements sont bien reconnus comme des délits, en tout cas par la loi, dans les tribunaux c’est encore autre chose. Face à la peur de certaines jeunes filles d'intégrer les métiers du bâtiment à cause de ces cas de harcèlement, Lucie explique que la peur n'évite pas le danger. Quelle que soit la filière professionnelle choisie, il est malheureusement toujours possible d'être victime de harcèlement sexuel. Ce qui compte, c’est de savoir s’entourer, d’en parler et de ne pas penser que ce qui arrive est de sa faute.

01:14:50 Quelle place pour la féminité? Lucie a longtemps pensé qu'elle devait se conformer aux us des hommes pour être acceptée et réussir. Jeune, elle s'habillait comme un garçon, elle ne mettait pas de maquillage, ni de robe ou de jupe. Lucie Branco explique qu'elle a redécouvert sa féminité après 30 ans, lorsque la bataille était gagnée. Pour beaucoup de gens on ne peut être que masculine quand on fait ce métier et elle s'est donc rendue masculine. Lucie estime que si elle ne l'avait pas fait, son parcours aurait peut-être été plus compliqué à cause du très faible nombre de femmes sur les chantiers. Elle se réjouit de voir qu'aujourd’hui, notamment sur les réseaux sociaux, des femmes du bâtiment s'affichent avec plus de féminité car cela montre bien que porter du maquillage et travailler dans le bâtiment ne sont pas incompatibles. Lucie estime qu'il n'est plus nécessaire pour les femmes de gommer leur physique tout en respectant les limites de la correction, comme dans n'importe quelle entreprise.

01:16:54 La prochaine invitée du podcast? Lucie souhaiterait écouter les réponses d'Emmanuelle Diolot qui a travaillé très dur pour devenir énarque.